Les DRH sont encore peu impliquées dans la lutte contre la fraude interne et notamment dans sa prévention. Et pourtant les DRH y toute leur place. Car si les process de contrôle ou d'audit sont indispensables, il faut aussi prendre en compte la dimension humaine dans la fraude interne.
Directeurs des ressources humaines et risk managers sont encore loin de marcher main dans la main dans la lutte contre la fraude interne, et plus généralement en matière de maîtrise des risques. Le constat est largement confirmé par une enquête de l'Institut français de contrôle interne (Ifaci) réalisée auprès de 85 grandes entreprises qui a révélé que les DRH sont en retrait par rapport aux autres directeurs. Seuls 34 % des DRH se déclarent impliqués dans la maîtrise des risques contre 82 % des directeurs financiers. Du côté des risk managers, l'intégration de la dimension RH n'est pas non plus une priorité, même si l'éthique individuelle et collective sont au coeur de la maîtrise des risques. Le constat est paradoxal alors même que les ressources humaines ont toute la légitimité pour être plus impliquées dans la lutte contre la fraude interne.
« La fraude interne, c'est d'abord de l'humain. Quand on évoque des dispositifs pour lutter contre la fraude, on pense d'emblée aux systèmes de contrôle de type audit, mais il est indispensable d'y associer la dimension Ressources humaines. Malgré cela, je ne rencontre que très rarement des DRH dans les formations que j'anime », constate Olivier Gallet, expert comptable et commissaire aux comptes, auteur de Halte aux Fraudes (Editions Dunod). Dans la même ligne, l'école supérieure d'assurances (ESA) en partenariat avec Sup des RH a décidé, faute de candidats, du report du MBA Risk management et performance RH... Si pour beaucoup, la lutte contre la fraude interne peut sembler éloignée de la sphère RH, les responsables de ressources humaines ont pourtant là aussi l'opportunité de s'impliquer efficacement.
Vérifier les diplômes sur un CV est un signal fort donné au recrutement
La majorité des fraudeurs internes n'ont aucun antécédent dans ce domaine, selon la plupart des enquêtes. Ces enquêtes montrent qu'un salarié n'intègre pas une entreprise en ayant l'intention de frauder, et ce constat est confirmé par les 3 à 5 ans d'ancienneté moyenne du fraudeur interne. Il n'est donc pas vital, excepté des postes spécifiques, de multiplier les contrôles lors d'un recrutement. « Toutefois, il n'est pas superflu que le service RH vérifie la réalité d'un diplôme ou la teneur exacte des expériences professionnelles listées sur le CV car cela donne au nouvel arrivant un signe fort sur un mode de fonctionnement de l'entreprise ", affirme Mikael Ouaniche, directeur général d'OCA groupe d'audit et d'expertise comptable.
Nombre d'entreprises décident de faire savoir à leurs salariés qu'ils travaillent dans une entreprise vertueuse en se dotant d'une charte éthique mais se contenter d'affirmations d'ordre général est sans doute insuffisant. A la charte éthique qui se contente le plus souvent de lister une série de valeurs ou de principes auxquelles l'entreprise se dit attachée, il faut préférer la mise en place d'un Code de conduite qui devra être beaucoup plus concret et fixera les règles du jeu en matière de fraude interne. « Il faut être précis, ne pas hésiter à lister les comportements attendus, ceux qui seront sanctionnés et dire comment seront traités les cas éventuels de fraude », souligne Olivier Gallet. Pour sécuriser une démarche de ce type, la DRH doit obligatoirement s'impliquer dans l'élaboration du code de conduite qui devient une adjonction au règlement intérieur et devra être soumis pour avis aux représentants du personnel. Vis-à-vis de la direction générale, la DRH doit aussi montrer la pertinence de cet outil même si la mise en oeuvre peut sembler très formelle. « Se doter d'un code de conduite, ce n'est pas une contrainte. C'est à la fois l'opportunité d'agir en cas de problème, mais aussi d'en profiter pour se poser de vraies questions sur l'acceptation de cadeaux, d'invitations, de l'existence de conflits d'intérêts... ", analyse Laurence Breton Kueny, DRH du groupe Afnor. Etre capable d'aborder le sujet, c'est le meilleur rempart contre la fraude interne, et la DRH doit faire savoir à tous, à travers des formations ou des documents spécifiques, que l'entreprise prend en compte cette problématique.
Un mauvais climat social est un signe avant coureur du risque de fraude
Un sociologue américain, Donald Cressey s'est intéressé aux mécanismes de déclenchement de la fraude et a théorisé le passage à l'acte à travers l'existence d'un « Triangle de la fraude " caractérisé par 3 éléments : un besoin financier, une opportunité pour frauder et enfin une recherche de justification de l'acte. S'il est difficile pour une entreprise d'agir sur le premier point, celle-ci doit faire en sorte qu'aucune opportunité de frauder ne se présente et c'est là l'objectif des procédures de contrôle interne. Dans cette lutte contre les failles du système, la DRH peut tenir un rôle prépondérant en favorisant la capacité de l'organisation à faire remonter certains dysfonctionnements. « Les RH peuvent travailler à créer une forme de culture interne de prévention des opportunités de fraude. Pour cela, il faut parvenir à être critique sur son propre système et permettre aux collaborateurs de faire remonter facilement les anomalies constatées. Ensuite, il faut les traiter car il faut éviter que le salarié ne soit frustré de constater que certains dysfonctionnements ne sont au final pas pris en compte », affirme l'expert-comptable Olivier Gallet. Troisième point du triangle, le besoin de justifier son acte qui lui est lié à la relation avec l'entreprise. Pression permanente, manque de reconnaissance, climat social dégradé...sont autant de sources de frustration qui aident à « légitimer » le passage à l'acte. « Le fraudeur va chercher à rationnaliser, à justifier moralement son acte en puisant dans ses frustrations, dans ses relations dégradées avec l'entreprise. C'est en repérant les signaux avant coureurs d'un mauvais climat social, en évitant que certaines frustrations ne s'installent durablement, en étant attentif au bien-être des collaborateurs que la DRH peut éviter que certains salariés ne franchissent le pas. »
Enfin, quand une fraude est détectée et que l'enquête interne montre que les faits sont avérés, il faut prendre une sanction sachant qu'il n'est pas envisageable de maintenir dans l'effectif un collaborateur qui a fraudé. Il faut alors prendre la sanction la plus adaptée. « Le risque c'est de vouloir aller trop vite en mettant trop d'affect du fait que le sentiment de trahison est souvent très fort à la découverte une fraude interne. Pour éviter de mauvaises surprises devant les tribunaux, il faut se montrer prudent sur le motif de licenciement et notamment l'invocation d'une faute lourde qui implique qu'il y ait intention de nuire et ce n'est pas forcément le cas dans une fraude interne. Le DRH doit orienter la procédure vers la bonne sanction, celle qui est justifiée en droit, pas en affect ", conclut Olivier Gallet.
Source : Daniel ROVIRA, www.lesechos.fr